titre : Les races -=- Auteur premier du texte : Yasmina Khadra
Première édition : Yasmina Khadra - 1992-=- Dernier correctif : Lors de la Guerre civile algérienne, qui a commencé au début de l'année 1992
Le quatuor algérien (*)
Les races, ce ne sont pas les Blancs, les Noirs, les Rouges, les Jaunes. Les hommes ne savent pas apprécier les talents de la nature. Ils font des diversités des partis pris ; ils appellent ça ségrégation.
Les races, ce ne sont pas les Arabes, les Juifs, les Slaves, les Tutsis.
Les hommes ne savent pas consulter le Temps. Ils se contentent d'embrigader les ethnies. En hiérarchisant l'humanité, ils espèrent racheter leur insignifiance, prendre leur revanche sur leur propre vulgarité.
Les races, les vraies, il y en a, oui, mais il n'y en a que deux :
la race des Braves et la race des Ignobles
ou
les Gens de Bien et les Gens Odieux.
Depuis la nuit des temps, elles s'affrontent sans merci, tel est l'équilibre des choses. Elles étaient là bien avant la Lumière, bien avant les prophéties, et elles survivront encore à toutes les civilisations. Depuis notre venue au monde, on nous enseigne la zizanie, on nous détourne de la Vérité. On nous apprend la haine de l'Autre, la haine de l'Absent et de l'Étranger, en somme une haine préfabriquée.
Et regarde, Brahim, regarde donc. Qui brûle nos écoles aujourd'hui, qui tue nos frères et nos voisins, qui décapite nos érudits, qui met à feu et à sang nos jeunes contrées ?
Des extraterrestres, des Malaisiens, des animistes, des chrétiens ?
NON ! Ce sont des Algériens, rien que des Algériens qui, il n'y a pas longtemps, chantaient à tue-tête l'hymne national dans les stades, se portaient massivement au secours des sinistrés, se mobilisaient admirablement autour des téléthons.
Et regarde, maintenant.
Te reconnais-tu en eux ?
— Moi, pas du tout...
Les gens de ma race, Brahim, ce sont tous ceux qui, d'un bout du globe à l'autre, refusent catégoriquement que de pareils monstres soient pardonnés.
(*) - RESPECT
Dans un pays saigné à blanc par la guerre civile, lorsque l'Algérie se décomposait sous les coups de ses propres enfants, l'auteur de ce texte ci-dessus, Yasmina Khadra a voulu témoigner à chaud de cette tragédie. Il l'a fait par le roman, au risque de son existence.